Vous êtes nombreux à nous écrire pour obtenir des conseils et de l’aide lorsque vous souhaitez sauver des animaux trouvés, notamment des chats libres et errants. En ce moment, nous sommes en effet en pleine période des naissances : chaque jour, des centaines de chatons pointent le bout de leur museau. Alors, que faire lorsque vous en trouvez un ?
Le scénario est bien connu : vous tombez nez à nez avec un chat (jeune ou adulte, blessé ou non) qui vous semble en détresse ; vous décidez alors de créer un contact, et peut-être, à terme, de l’emmener chez vous, de le faire soigner et stériliser dans la foulée. Votre geste part d’une bonne intention, mais avez-vous pensé aux conséquences que cela pourrait avoir sur la vie de votre petit « protégé » ?
« Vouloir venir en aide à un animal trouvé est profondément humain et part toujours d’un bon sentiment », explique notre Président, le Dr vétérinaire Thierry Bedossa. « Cependant, on ne se rend pas toujours compte des conséquences que notre intervention peut avoir sur l’animal, et, souvent par méconnaissance, on finit par nuire à l’être qu’on a voulu sauver ».
Bien qu’il soit aujourd’hui l’animal de compagnie préféré des Français (il y aurait au moins 13 millions de chats de compagnie sur le territoire), le chat est un carnivore issu de la domestication du chat sauvage. Il a gardé au fil des siècles ses instincts de prédateur. De tous temps, de nombreux chats « de gouttière » ont peuplé les villes du monde entier, et cela est toujours le cas. « Lorsqu’on voit un animal dans la rue, on a tendance à s’apitoyer sur son sort et à faire des projections : on se ditqu’il doit être malheureux parce qu’il est en mauvaise santé, qu’il mange des restes, qu’il n’a pas de foyer, et c’est pourquoi on veut lui venir en aide ; nous voyons naturellement la situation à travers notre prisme d’humain, mais c’est en réalité une méconnaissance de l’éco-éthologie de l’espèce féline, espèce différente de la nôtre », explique Sarah Jeannin, psychologie et Docteure en éthologie (science du comportement animal).
Un chat errant n’est pas forcément en détresse
Un chat errant n’est pas forcément en détresse, loin de là : « L’espèce féline est l’espèce qui a sans doute la plus grande faculté d’adaptation : les chats sont aussi bien capables de vivre dans la proximité de l’Homme qu’en solitaires, dans les rues », poursuit le Dr Bedossa. « Lorsqu’on extrait un individu de son milieu naturel, même si cela part d’une bonne intention, on peut sans le vouloir lui infliger une situation qu’il n’a pas choisie et qui ne correspond pas à ses besoins, et cela peut avoir de graves répercussions dans certains cas ».
C’est d’ailleurs ce qu’ont vécu un certain nombre de chats pris en charge par AVA : anciens chats errants ou issus d’une femelle errante, ces chats n’ont pas supporté la vie en captivité. D’une vie « libre » en extérieur, où ils pouvaient totalement exprimer leurs comportements naturels (chasser, courir, observer leur environnement…), ils se sont retrouvés enfermés dans des appartements, sans possibilité de sortir et d’exprimer leur répertoire comportemental : c’est de là que sont apparus des comportements dits « gênants » pour leurs propriétaires (agressivité, malpropreté, destructions…). C’est pour qu’ils puissent retrouver un environnement plus favorable, en extérieur, et sécurisé, qu’ils ont été recueillis par notre association après avoir échappé de peu à l’euthanasie.
Tous n’ont pas cette chance. Dès lors qu’ils développent de « mauvais comportements » aux yeux de leur propriétaire, certains chats sont hélas euthanasiés chez un vétérinaire, de façon arbitraire.
Prendre en compte les besoins éthologiques de l’animal
« Ces situations pourraient être évitées si tout le monde était mieux informé sur les besoins éthologiques du chat », estime le Dr Bedossa. « Vouloir venir en aide à un individu, c’est bien, mais il faut penser aux intérêts de l’animal avant de penser à nos propres envies d’êtres humains ». Par exemple, lorsqu’on souhaite recueillir un chaton trouvé errant, il faut d’abord s’assurer qu’il n’a pas de maman : celle-ci est peut-être partie en quête de nourriture, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne reviendra pas. Or, si un humain a touché son petit, elle peut ensuite le rejeter, ce qui mettrait gravement la vie du chaton en danger. De même, si l’on souhaite porter assistance à un chat déjà adulte, il faut s’interroger sur les répercussions : le cadre de vie que je vais lui offrir lui sera-t-il plus favorable que son mode de vie actuel ? Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce ne sera pas nécessairement le cas… « Chaque individu est différent, et il faut absolument tenir compte de la personnalité de chacun pour agir en sa faveur », rappelle le Dr Bedossa.
Il en est de même pour les chiens : certaines associations recueillent des chiens errants dans d’autres pays et les font adopter en France où ils ont davantage de chances de trouver une famille. Cependant, devenir un chien « de compagnie » pour un chien ayant vécu dans la rue demande une très grande capacité d’adaptation ; bien qu’il ne faille pas généraliser, tous les chiens n’en sont pas capables. Certains chiens ne s’habituent jamais à cette nouvelle vie qu’on leur impose, et peuvent développer, eux aussi, des comportements dits gênants qui conduiront, hélas, à leur abandon voire à leur euthanasie. Finalement, la vie de « chien errant », aussi dure est–elle à nos yeux, n’était peut-être pas moins belle que celle de chien « de compagnie » à laquelle il ne s’est pas habitué… Mais là encore, tout dépend des individus.
« Finalement, le meilleur moyen d’aider un animal errant, c’est de lui offrir de quoi se nourrir, de quoi s’abreuver et de quoi s’abriter dans l’environnement où il se trouve, après s’être bien sûr assuré qu’il n’avait pas de propriétaires. S’il semble malade ou blessé, il faut le conduire chez le vétérinaire ou contacter une association ou la mairie qui dépêchera le service de fourrière », conseille le Dr Bedossa.
Depuis son origine, AVA milite pour une meilleure compréhension de l’animal. Convaincus que « pour protéger, il faut comprendre », nous sommes animés par la volonté d’aider les animaux en commençant par l’acquisition et la promotion des connaissances sur les besoins spécifiques de chaque individu.
Le chatviez-vous ? Les chats peuvent bénéficier du statut officiel de « chats libres »
Le « chat libre » est un statut officiel reconnu par la loi du 6 janvier 1999 qui offre aux chats une protection juridique. Les chats libres sont identifiés, stérilisés puis relâchés là où ils ont été trouvés, et appartiennent à l’association qui les ont pris en charge ou bien à la commune.
A propos de la stérilisation des chats errants
Aujourd’hui, lorsqu’un chat errant est recueilli par une âme charitable ou une association, il est d’emblée stérilisé par castration (pour les mâles) ou par gonadectomie (pour les femelles) afin de lutter contre la prolifération de son espèce. Nous appelons à une véritable réflexion sur ce processus de stérilisation : « la lutte contre la surpopulation féline est impérative mais en veillant à ne pas induire d’autres risques sanitaires ni en affaiblissant les populations de chats libres qui sont relâchés et doivent continuer à survivre dans la nature après l’intervention. Je préconise un changement de méthodes, pour le respect de la santé, du bien-être et du comportement des animaux, en fonction de leurs conditions de vie, de leur éco-éthologie et des données actuelles de la connaissance scientifique. La stérilisation par vasectomie, chez les mâles, et sans gonadectomie chez les femelles, apparaissent comme des alternatives respectueuses de l’intégrité des individus », déclare le Dr Bedossa.
« Jeune vétérinaire, j’ai été très actif en Turquie et en Yougoslavie au début des années 90 pour mener des campagnes de stérilisation sur des chiens et des chats sans propriétaires, libres et errants. Je pensais bien faire. Après avoir vécu et exercé là-bas quelques mois, je me suis hélas aperçu que les individus stérilisés auxquels les humains n’apportaient pas quotidiennement assistance pour les nourrir, les abriter et intervenir lors de conflits avec leurs congénères ne survivaient pas.
En effet, le lien entre stérilisation par gonadectomie classique (retrait des ovaires+/- utérus ou des testicules) et l’affaiblissement du système immunitaire a été démontré (Howe et al., 2001). Les animaux ainsi stérilisés sont plus sensibles au froid, moins actifs et donc moins aptes à survivre dans un environnement parfois (souvent) hostile. Les associations de protection animale doivent être à mon sens force de propositions pour contribuer au développement de ces interrogations critiques et de l’affinement des techniques de stérilisation dans le meilleur intérêt de chaque individu opéré ».