Un jour, un matou a surgi dans le jardin de mon immeuble. Il y resté plus de douze ans, jusqu’à juillet de cette année (2024). Se confondant avec les cailloux enchâssés dans le décor, je l’avais baptisé du même nom. Farouche, craintif, réactif, je n’ai jamais pu le toucher. Mais, au fil des ans, j’ai gagné du terrain, à son rythme, passant de 3 mètres en-deça desquels il s’enfuyait, jusqu’à pouvoir lui parler à mes pieds. Mon vétérinaire me disait qu’il réclamait du contact émotionnel, sans pouvoir supporter le contact physique. Je l’ai accepté car je ne sais que trop bien que l’on ne force pas la nature ni les êtres sensibles.
Mon propre matou (Miko) faisant chaque jour ses balades quotidiennes dans le jardin, ils ont fini par nouer une amitié à la fois simple et complexe, l’un et l’autre se cherchant et se rejetant selon les jours.
Au début, j’ai cherché à apprivoiser Caillou, à le mettre suffisamment en confiance pour que je puisse l’adopter et l’héberger. Il n’a jamais voulu. J’ai demandé conseil ici et là mais rien n’a permis de l’adopter, encore moins de le manipuler. Alors, j’ai continué de prendre soin de mon chat dedans et de lui dehors. Je lui ai fourni de quoi se réchauffer, se sustenter, adoucir sa vie qui me semblait ingrate à certains égards. Certains voisins ont compati, la plupart ont pesté contre sa présence mais tous ont fini par s’habituer à sa silencieuse existence. Quand j’appelais mon félin en goguette, c’était lui qui arrivait en trottinant. Quand je levais les stores au matin, leur mélodie grinçante était un signal pour notre rituel : à lui les miaulements, à moi la gamelle de pâtée, à servir séance tenante. Chaque jour, nous avons renouvelé cette connivence, jusqu’à ces jours funestes de juin, où je me suis résolue à agir pour l’accompagner dignement vers la fin de ses tribulations terrestres.
Hélas, il est difficile de trouver de l’aide pour un compagnon à quatre pattes qui ne se laisse pas manipuler. A chaque fois, mes demandes ne trouvaient pas réponse. A chaque fois, on m’opposait un refus poli et désolé du fait que “l’on ne peut pas intervenir pour un animal qui ne se laisse pas approcher”. Au bout de trois semaines, j’ai trouvé une solution avec le dispensaire de la SPA qui m’a prêté une trappe. Je savais le matou méfiant et l’attraper ne fut pas simple. Le diagnostic a été sans appel : tumeur avancée de la mâchoire et traitement palliatif à lui administrer. Ce que j’ai fait. Avec du recul, je n’ai qu’un regret : que le vétérinaire qui l’a pris en charge ne l’ait pas euthanasié lors de cette visite. Il l’a été cinq semaines plus tard (après un nouveau trappage plutôt traumatisant), cinq semaines trop tard car, résistant, il a lutté de toutes ses forces malgré la douleur et la putréfaction qui l’envahissaient. J’aurais voulu adoucir sa fin.
La leçon que j’ai tirée de cette histoire, c’est que notre vision, toute bienveillante soit-elle, n’est pas forcément en phase avec le désir de l’animal. J’ai souhaité qu’il trouve refuge chez moi, à l’abri et au chaud mais il n’a jamais pu ou voulu. Au fond, n’a-t-il pas choisi et apprécié son chemin ?
PS : pendant longtemps, je me suis demandé ce qu’avait vécu ce matou pour être si farouche et craintif. Avait-il été maltraité, abandonné ? Etait-il né sauvage et l’était-il resté ? Ma visite au dispensaire a révélé qu’il était tatoué et avait eu des propriétaires et qu’il avait eu 16 ans cette année. Comme mon matou.